lundi 22 avril 2013

La Suisse de Millevaux par Thomas Munier



Un nouveau rédacteur invité nous propose un article. Il s'agit à présent d'un auteur français qui parle de la Suisse dans son l'univers de son jeu tout fraichement sorti. Je vous laisse découvrir cet interprétation surprenante de notre pays.

Thomas Munier est l’auteur de Millevaux, un univers post-apocalyptique forestier pour le jeu de rôle Sombre (horreur radicale) et le jeu de rôle Inflorenza (horreur épique). Il tient également Outsider, un blog sur le processus créatif et lefolklore personnel



A l’instar de la Brigade Chimérique (la bande dessinée et le jeu de rôle), j’ai voulu avec Millevaux utiliser le folklore européen pour développer un univers de fiction. Un folklore post-apocalyptique d’horreur forestière. J’ai pris beaucoup de plaisir à réinterpréter et détourner les légendes et les faits historiques de notre continent en écrivant Millevaux. J’espère que les joueurs en feront de même en développant leur propre enfer forestier européen. 

Le Livre Source présente déjà de nombreuses données européennes. Le Mur de la Honte qui ceinture le continent, des sectes chrétiennes telles que les Disciples de Khlyst, des conflits militaires et religieux qui se répercutent entre l’Autriche-Hongrie, la Roumanie, l’Empire Ottoman et le Maghreb.
Le prochain supplément de contexte sera l’Atlas. Il décrira en détail chaque pays de l’Europe de Millevaux, de l’Angleterre aux Monts Oural, de la Scandinavie au Sahara. Millevaux Sombre étant un jeu adapté au one-shot, j’ai voulu proposer au joueur une multitude de théâtres exotiques. Chaque pays a droit à quelques pages de contexte qui présentent une ou deux problématiques, quelques lieux notoires, quelques personnages, des conflits en gestation.
Je n’avais pas l’intention d’offrir un panorama exhaustif mais d’aborder pour chaque pays quelques thèmes forts qui créent du jeu. 

Pour la Suisse, qui s’appelle de nouveau la Confédération Helvétique dans Millevaux, je me suis concentré sur le paradoxe de la neutralité. De nos jours, de mon point de vue français, la Suisse me paraît à la fois très fermée (neutralité militaire et politique) et très ouverte (rôle monétaire, échange migratoires de travailleurs, pôle scientifique) au reste du monde. J’ai imaginé comment se développerait ce paradoxe en l’anticipant dans Millevaux. Cette tension entre ouverture et fermeture me paraissait très créatrice de jeu.

Sa neutralité militaire et politique a permis à la Suisse de ne pas être asservie comme le reste de l’Europe avant la Catastrophe. Ainsi, elle n’a pas été associée aux recherches en agriculture intensive qui ont conduit à la Catastrophe. Mais une fois la Catastrophe passée, la Suisse n’a pu échapper aux retombées que véhiculaient les spores corrompues… Elle est devenue un enfer forestier comme le reste de l’Europe. 

J’ai estimé que la Suisse avait eu le temps d’anticiper la Catastrophe et de s’y préparer. Le Centre Espoir, pôle scientifique ultra-sécurisé inspiré du CERN, a survécu à la Catastrophe. Alors que le reste de l’Europe retombait au Moyen-Âge, la Suisse maintenait une technologie avancée. Elle développe même une substance, le sérum de mémoire cellulaire, qui atténue le Syndrome de l’Oubli. Alors que le reste de l’Europe sombre dans l’amnésie, la Suisse devient la mémoire du continent.
Dirigé par les Patriarches, des clones paranoïaques, le Centre Espoir poursuit ses avancées technologiques sans les partager avec l’étranger. Les frontières suisses sont gardées par des drones, des vigiles et des tribus étrangères payées par la Suisse. L’objectif est d’abattre tout ressortissant étranger qui viendrait apporter spores ou dissension sur le sol helvète. Cependant, certains suisses brisent le black-out. Ils creusent des tunnels de contrebande vers l’étranger ou conspirent à offrir les technologies du Centre Espoir à l’ensemble de l’humanité. Le peuple suisse tente de survivre en circuit clos mais les spores corruptrices sont sans frontière et la forêt progresse dans les alpages comme partout ailleurs.

Pour les étrangers un peu au fait de ce qui s’y passe, la Suisse apparaît comme un dangereux eldorado. J’ai eu l’occasion de faire toute une campagne Millevaux Sombre d’un voyage vers le Centre Espoir. J’ai aussi fait une campagne entière de Millevaux Inflorenza sur des personnages européens qui parvenaient à collaborer avec les scientifiques du Centre Espoir. Ils les ont convaincus de s’associer avec eux pour lutter contre les Horlas, monstrueuses entités surnaturelles qui ont fait de Millevaux un enfer. Ensemble, ils ont conçu les Abraham, prometteurs et terrifiants mechas animés par la magie blanche. 

Utiliser le paradoxe suisse de la neutralité peut apparaître comme un cliché. Mais c’était un cliché fertile en jeu de rôle. De la lutte contre des gardes-frontière primitifs à la préparation d’une bataille continentale high-tech, la Suisse s’est avéré un pivot ludique du jeu. Je serais vraiment curieux de savoir ce que pensent les joueurs suisses de cette idée. Et plus encore de découvrir comment ils joueraient dans la Confédération Helvétique de Millevaux et dans les autres pays de cette infernale Europe forestière.Hor

jeudi 11 avril 2013

J'ai mastérisé en mode bilingue (et j'ai survécu) par Paragon



Après une petite pause, je lance un nouveau type d'article sur ce blog. Il s'agit d'invités qui ont d'une manière ou d'une autre quelque chose à dire qui a un lien, même lointain, avec notre pays. Toute personne intéressées a publier sur ici un texte est bienvenue, contactez-moi.
Nous commençons avec Laurent qui est un jeune auteur et illustrateur suisse. Je vous invite à passer sur son site pour découvrir certaines de ses créations

Je me présente ; Laurent dit « Paragon », 18 ans,  rôliste depuis mes treize ans et suisse par nature. J'ai dû dernièrement meujeuiser une partie en deux langues (français et allemand) et Nonène m'a demandé de vous en parler :

Au départ, ce devait être une partie pour Ludesco tout-à-fait normale : 6 joueurs 100% pur francophone, normal quoi ! Mais bon, le succès de mon scénario des Ombres d’Esteren aidant, j'ai accepté de prendre un premier joueur supplémentaire ; ce fut de bon gré car je le connaissais. Comme un autre joueur avait invité sa copine au festival, je lui ai naturellement proposé de jouer à ma table. Cette fois-ci, ladite copine suisse allemande ne parle pas un mot de français. Un beau challenge s’offrait à moi.

 
C'est une des particularités les plus déroutantes de le Suisse, ses multiples langues nationales et il faut s’y adapter. Bien sûr, j'ai appris l'allemand comme tout Suisse romand : je me débrouille mais ce n’est pas une langue maternelle non plus. Je me suis donc donné la peine d'essayer de doubler mes descriptions durant toute la partie.

Plusieurs difficultés se sont posées à moi. La première est le temps supplémentaire que peut prendre les descriptions : tout raconter deux fois à une table de huit joueurs dissipés, ça trouble passablement le jeu. Très rapidement, je me suis simplifié la tâche en parlant allemand uniquement lorsque je m’adressais à la germanophone de la table. Pour le reste, son copain, bilingue pour sa part, se chargeait de la traduction de mes autres descriptions.

La seconde difficulté provient du vocabulaire. S'il y a bien une chose que l'on n'apprend ni à l'école, ni lors d’excursions en terre germanique,  c'est le vocabulaire spécifique à une partie de jeu de rôle. En début de partie, j’ai eu du mal à trouver mes mots, avoir une personne bilingue en soutien m’a grandement aidé. Pourtant, si le bilinguisme de ma partie avait été connu à l’avance, j’aurais pu me préparer et répéter ce vocabulaire spécifique. Les mots problématiques n’étaient pourtant pas trop nombreux : trois noms de professions et de quelques armes.

A ce titre, je bénis les auteurs d'Esteren d’avoir opté pour des noms spécifiques pour les professions. Jusqu’à présent, je ne comprenais pas pourquoi ils avaient appelé les druides, Demorthèns ; les alchimistes, Magientistes ; les messagers, Varigaux. Mais l’avantage est que ces noms sont uniformes entre les langues et cela crée une sorte de vocabulaire commun.  Ainsi je donnais une fois la définition en français et en allemand et ensuite roulez jeunesse. A croire qu’ils avaient prévu dès le départ de faire des traductions et faciliter le passage d’une langue à l’autre !

En conclusion, je dirais que si une partie du genre était à refaire, il me faudra une préparation. Bien sûr, la difficulté de la langue s’ajoutait à celle du nombre de joueurs, mais je pense que l’expérience vaut le coup. Voici trois bonnes raisons de jouer en plusieurs langues :
·         Ça peut permettre de rapprocher les régions linguistiques de la Suisse (ou de Belgique, ou d’Europe, ou du Monde).
·         C'est un excellent moteur pour s’exercer aux langues.
·         Ça renforce les enjeux linguistiques dans le jeu de rôle[1].

Maintenant imaginons une table avec un MJ entraîné et des joueurs ne parlant pas tous la même langue... ajoutons là-dessus un scénario d'enquête pensé pour inclure des enjeux multilingues, un scénario historique en 14-18 sur la frontière par exemple.

Vous imaginez un peu l’expérience ludique que ça pourrait être ? Ça ne vous tenterait pas ? Moi ça me tente, j'aimerai bien organiser une telle chose un jour.


[1] Il y avait par exemple  dans les premiers D&D ces règles absurdes des compétences de langue qui ne servaient à quasi rien puisqu'en dehors des donjons tout le monde ou presque parle la langue commune. Et même si les personnages n'étaient pas censés se comprendre, les joueurs parlaient malgré tout la même langue autour de la table.