Suite à l’excellent podcast de la Cellule,
Le Jeu De Rôle pour tous ?, je
ne peux m’empêcher de réagir et d’exposer mes propres reflexions. Les
intervenants ont cité en exemple plusieurs de mes projets,
La Chaux-de-Fonds 1904 et
Romance Érotique. Il y a un concept
évoqué dans l’émission qui me tient particulièrement à cœur : le public.
La recherche d’un public est centrale pour mon projet de création.
Il représente la source de reconnaissance et de revenu, tous deux valorisent à
leur manière le travail de l’auteur. Pour donner un sens à son travail, il faut
trouver et atteindre son public. Alors quel est le public que je
recherche ?
Un projet, un public ; Ma création, mon public
Pour l’instant, et c’est volontaire de ma part, chacun de
mes projets cible un public différent. Il n’y a aucun rapport entre Romance érotique, La Chaux-de-Fonds 1904 ou
L’Ingénieux Duc Ludomire de Beaubousson de la Pahalie (un projet dont je
vous parlerai bientôt). Il est important à chaque fois de toucher un public
différent et plus large que les rôlistes habituels, c’est ma manière de sortir
des sentiers battus.
Mais même si chacune de ces créations vise son propre public,
c’est ma démarche créative et mon style qui donne une cohérence à ma création
dans son sens large. Ma démarche est parfaitement cohérente si l’on s’intéresse
à sa logique et, contrairement à ce que l’on peut croire, je ne me disperse
pas. J’espère donc à terme trouver mon propre public qui se reconnaitra dans ma
démarche mais je ne le cible pas spécifiquement.
Donc la plupart des « clients » de mes projets ne
s’intéressera qu’à une seule de mes créations car c’est le jeu qui les
intéressera. Pour ma part, je comprends tout à fait que Romance érotique
n’intéresse pas les fans de Crimes.
Le public rôliste
Lorsqu’on crée un jeu de rôle ou une réalisation en lien,
les premiers intéressés sont les rôlistes, évidemment. Ce public n’est pas à
négliger pour plusieurs raisons mais celles qui sont importantes à mes yeux
sont la légitimité et un socle de vente. Si l’on cherche à
toucher d’autres publics, cela comporte un certain risque financier : des
tirages plus importants et du travail supplémentaire. Dans une telle
configuration, le public-socle de rôlistes sert de tremplin pour envisager de
toucher d’autres personnes.
La légitimité est un concept un peu plus flou mais permet de
crédibiliser son projet auprès d’acteurs extérieurs au JdR (distributeurs,
librairies, institutions publiques, etc.). En réalité, cela permet de mettre
une étiquette à ce que l’on fait et la reconnaissance, même limitée à une
petite communauté, rassure les néophytes.
C’est pour cette raison que je prends bien soin de ne pas
casser tous les codes et tous les repères du JdR. Je n’hésite pas à me montrer
innovant mais il est contreproductif de le faire à outrance. Si j’y arrive,
j’espère casser un à un les codes et les tabous du JdR qui me semblent inutiles
mais je le ferai un à un, chaque projet apportant sa propre contribution à mon
projet créatif. Lorsque Gary Gigax et David Arneson ont présenté
Dungeons
& Dragons pour la première fois, ils l’ont présenté comme un wargame
d’un genre nouveau. Le jeu était révolutionnaire et rendait possible le
rôleplay, tout en conservant une grande partie des codes du wargame. C’est
ainsi que D&D est parvenu à trouver son public. Du moins, c’est ainsi que
je me le représente.
Pour La Chaux-de-Fonds
1904, les rôlistes ciblés sont les fans de Crimes et d’autres jeux
historiques. Pour Romance érotique,
il s’agit des rôlistes qui aiment les jeux innovants.
Le public non-rôliste
Lorsque l’on sort des sentiers battus, il est possible de
toucher des non-rôlistes. Alors que les réseaux de distribution (distributeurs,
magasins de jeu, vente en ligne, etc.) et d’information (mags, forums,
conventions, etc.) pour toucher les rôlistes sont bien connus, toucher un
public extérieur est plus délicat. Romance
érotique n’a pas encore touché son public extérieur malgré son potentiel
certain. Le jeu est inconnu du grand public et est difficilement accessible.
J’espère y remédier bientôt. Je retiens
la leçon pour La Chaux-de-Fonds 1904
qui connaitra une distribution dans les librairies de Suisse et qui bénéficiera
d’une large communication dans les médias régionaux.
Le potentiel d’un public extérieur est évidemment grand,
mais il demande un effort supplémentaire. De plus, il ne faut sans doute pas se
faire d’illusion : un JdR ne peut s’adresser à tous. Aucun film ne le peut
non plus. Je crois qu’il faut cibler son public pour trois raisons : le
projet gagne en cohérence, les efforts sont plus concentrés pour plus d’efficacité
et toucher un public particulier crée une nouvelle légitimité (en complément de
celle des rôlistes).
Les lecteurs et joueurs ciblés pour La Chaux-de-Fonds 1904 sont les amateurs d’histoire régionale et
des amoureux de la cité horlogère. Romance
érotique s’intéresse aux couples décomplexés, qui n’hésite pas à pimenter
leur vie sexuelle, et sophistiqués, qui ne se contentent pas de simples dés
érotiques.
Remarquez que même si je souhaite ouvrir le JdR à de
nouveaux publics, je ne compte pas faire de JdR grand public. Cela ne m’intéresse
pas. Je veux faire des créations exigeantes avec une identité forte. Il n’est
pas question pour moi de simplifier juste pour toucher un plus grand public. A
mes yeux, l’accessibilité doit être pédagogique et non simplificatrice.
Le public institutionnel
Il s’agit ici d’un public souvent oublié qui est finalement
bien plus accessible que l’on ne peut penser. Les institutions dans son sens
large peuvent apporter beaucoup à un projet : aides financières,
communication, organisation d’événements, visibilité, légitimité (on y
revient). Contrairement à ce que l’on pense, elles ne cherchent pas à
influencer la création car leur rôle n’est pas de brider mais de favoriser. Je
crois que chaque projet peut trouver de l’aide si l’on s’y prend correctement.
Il y a pour cela deux choses à prendre en compte : choisir soigneusement
les institutions qui peuvent être intéressées au projet et savoir formuler sa
demande.
La première n’est pas bien compliquée, il suffit d’avoir un
peu de bon sens, faire quelques recherches. De plus, les gens qui travaillent
pour les institutions ne sont pas avares en bons conseils. Si vous avez frappé
à la mauvaise porte, il y a de fortes chances qu’ils vous redirigent vers
d’autres. Pour la seconde, c’est un savoir-faire qu’il faut acquérir par la
pratique : préparer une lettre de demande, faire un budget, constituer un
dossier complet, adapter son organisation, faire preuve de transparence
financière. Je considère La
Chaux-de-Fonds 1904 comme un apprentissage. Je compte bien mettre à profit
mon expérience pour mes futurs projets et pour d’autres rôlistes.
Pour conclure
Il existe encore d’autres publics à cibler comme les
sponsors privés (
Manga
BoyZ a une démarche intéressante en ce sens) mais je ne souhaite pas
m’étendre dessus pour l’instant.
Je suis profondément convaincu qu’il est nécessaire que le
JdR se renouvelle et cherche de nouveau publics. L’un peut favoriser l’autre,
j’en suis convaincu. Ma démarche n’est pas nouvelle en soi,
Würm a un partenariat avec
un musée et de nombreux jeux lorgnent sur d’autres publics que les rôlistes. Le
supplément
La Chaux-de-Fonds1904 ne
diffère pas beaucoup de
Les
mystères de Lyon.
Ce que je crois originale dans ma démarche d’ouverture à d’autres
publics, c’est qu’elle est revendiquée et que je vais au bout de l’idée. Il ne
suffit pas de dire « Mon jeu s’adresse aussi à des non-rôlistes »
pour que ce soit vrai. Mon travail ne consiste pas uniquement à écrire des jeux
ou des suppléments mais il y a également un travail de cohérence à faire en termes de
diffusion, d’édition, de communication, de collaboration et de démarches
administratives.